Sommaire
Collaborateurs
Coordonnateurs régionaux
GRAFF Pierre
Institut de cancérologie de Lorraine (54)
Rédacteurs
CAPRIO Dino
Cabinet d'ORL (57)
CORTESE Sophie
Institut de cancérologie de Lorraine (54)
DOLIVET Gilles
Institut de cancérologie de Lorraine (54)
GANGLOFF Pierre
CHR de Metz-Thionville (57)
KAMINSKY Marie-Christine
Institut de cancérologie de Lorraine (54)
LONGO Raffaele
CHR de Metz-Thionville (57)
MECELLEM Hinda
Hôpital clinique Claude Bernard (57)
OLDRINI Guillaume
Institut de Cancérologie de Lorraine (54)
OLDRINI Sophie
Institut de cancérologie de Lorraine (54)
TALBI Marouane
CHR de Metz-Thionville (57)
Ce référentiel, dont l'utilisation s'effectue sur le fondement des principes déontologiques d'exercice personnel de la médecine, a été élaboré par un groupe de travail pluridisciplinaire de professionnels du réseau régional de cancérologie de Lorraine (ONCOLOR), en tenant compte des recommandations nationales, et conformément aux données acquises de la science au 24 janvier 2014.
- Ce référentiel présente les principes de prise en charge des cancers épidermoïdes de la cavité buccale.
- La stratégie thérapeutique est adaptée au niveau d'extension de la maladie :
- la décision est fonction des contre-indications de chaque méthode thérapeutique liées au malade ou à l'extension locale de la maladie.
- lorsque plusieurs options thérapeutiques sont équivalentes, l’ensemble de ces options doit être présenté avec leurs avantages et leurs inconvénients, pour permettre au patient d’établir un choix éclairé.
-
Facteurs favorisants :
- l’alcool et le tabac sont les principaux facteurs favorisants de l’ensemble des carcinomes épidermoïdes de la sphère ORL.
- l’infection HPV est un autre facteur favorisant des carcinomes épidermoïdes de la cavité buccale et de l’oropharynx d’incidence croissante depuis les 10 dernières années. Cette infection est liée à la contamination oro-génitale. Elle est à l’origine d’une nouvelle population de patients plus jeunes, parfois non exposés au tabac ou à l’alcool. L’infection HPV est reconnue comme facteur pronostique favorable du contrôle tumoral et de la survie globale, principalement pour les patients traités pour une tumeur de l’oropharynx, mais ce critère ne doit pas intervenir à l’heure actuelle dans la décision thérapeutique en dehors d’essais cliniques.
- Tout dossier doit être discuté en RCP.
- Le délai entre la première consultation par l’équipe qui va prendre en charge le patient et le recueil des éléments nécessaires à la prise de décision (en RCP) ne doit idéalement pas dépasser 4 semaines.
- Le bilan doit comprendre :
- un examen clinique ORL complet, du cavum à la bouche œsophagienne
- un examen clinique général (état nutritionnel, intoxication alcoolo-tabagique...)
- un examen scanographique ORL, avec injection de produit de contraste (en l'absence de contre-indication), de la base du crâne aux clavicules étudiant le T et le N. L'examen scanner sera réalisé si possible à distance de l'endoscopie et des extractions dentaires. La réalisation de manœuvres dynamiques est souhaitable dans ces localisations.
- un scanner thoracique
- un bilan odontologique avec OPT et avis du chirurgien dentiste
- une panendoscopie (VADS - œsophage)
- un schéma précis, daté, avec mensurations si possible des lésions, est indispensable à la prise de décision thérapeutique et au suivi ultérieur
- un TEP scanner recommandé en cas de stade tumoral et/ou ganglionnaire avancé.
- Fibroscopie bronchique en cas d’image thoracique suspecte
- Gastrostomie discutée en prévision de suites thérapeutiques difficiles (exemples : chirurgie lourde, radiochimiothérapie concomitante...)
- IRM : si bilan insuffisant pour préciser l'extension locale, au cas par cas après concertation avec les radiologues
- Exploration hépatique
-
Scintigraphie osseuse uniquement si points d'appel.
- Ce bilan permet de déterminer le stade TNM de la lésion et de proposer une prise en charge.
- Données socio-démographiques
- Etat général OMS
- Poids habituel et perte de poids
- Antécédents médico-chirurgicaux
- Examen clinique et ORL
- Panendoscopie
- Scanner cervico-thoracique
- TEP (si réalisé)
- Compte-rendu anatomo-pathologique (cytoponction ou pièce opératoire)
- Compte-rendu opératoire (si malade déjà opéré).
- Le diagnostic de malignité repose sur l'examen anatomo-pathologique après biopsie de la tumeur. En situation postopératoire, plusieurs critères sont nécessaires à la décision thérapeutique adjuvante :
- En situation postopératoire, plusieurs critères sont indispensables sur :
-
Tumeur T
- différenciation
- taille tumorale, emboles lymphatiques, infiltration péri-nerveuse
- infiltration musculaire, osseuse et cutanée
- état des berges d'exérèse : envahies par du carcinome infiltrant, de la dysplasie sévère ou du carcinome in situ, avec localisation si possible
- quantification des marges entre les berges d’exérèse et le carcinome infiltrant, avec localisation si possible
- recoupes (orientées si possible en peropératoire)
- Ganglions N
-
Tumeur T
- Il est souhaitable d'avoir une analyse extemporanée des marges pendant la chirurgie.
-
Facteurs histopronostiques défavorables :
- l'envahissement ganglionnaire : envahissement ganglionnaire multiple et rupture capsulaire (N+ R+)
- les berges de résections infiltrées par du carcinome infiltrant, de la dysplasie sévère ou du carcinome in situ
- les marges entre les berges d’exérèse et le carcinome infiltrant <5 mm
- les engainements péri-nerveux
- les emboles lymphatiques.
TX | Renseignements insuffisants pour classer la tumeur primitive |
T0 | Pas de signe de tumeur primitive |
Tis | Carcinome non invasif (carcinome in situ) |
T1 | Tumeur ≤ 2 cm dans sa plus grande dimension |
T2 | Tumeur dont la plus grande dimension est >2 cm et ≤ 4 cm |
T3 | Tumeur dont la plus grande dimension est >4 cm |
T4 | T4a : tumeur s'étendant aux structures voisines : corticale osseuse, musculature profonde extrinsèque de la langue (génioglosse, hyoglosse, palatoglosse et styloglosse), sinus maxillaire, peau du visage |
T4b : tumeur envahissant l'espace masticateur, les apophyses ptérygoïdes, la base du crâne ou englobant l'artère carotide interne. |
N0 | Pas de signe d'atteinte des ganglions lymphatiques régionaux |
N1 | Métastase dans un seul ganglion lymphatique homolatéral ≤ 3 cm dans sa plus grande dimension |
N2 | Métastases telles que |
N2a | métastase dans un seul ganglion lymphatique >3 cm mais ≤ 6 cm dans sa plus grande dimension |
N2b | métastases homolatérales multiples toutes ≤ 6 cm |
N2c | métastases bilatérales ou controlatérales ≤ 6 cm |
N3 | Métastase dans un ganglion lymphatique >6 cm dans sa plus grande dimension |
M0 | Pas de métastase à distance |
M1 | Présence de métastase(s) à distance |
- Les techniques de chirurgie d'exérèse tumorale sont soit conservatrices de la mandibule (BPTM = bucco-pharyngectomie transmandibulaire reconstructrice, pelvi-mandibulectomie non interruptrice), soit non conservatrices (BPTM avec sacrifice de la branche horizontale de la mandibule, pelvi-mandibulectomie interruptrice). Ces résections sont plus ou moins élargies aux différents éléments anatomiques de la cavité buccale (langue, plancher buccal, joue, palais) avec ou non sacrifice partiel ou total du maxillaire.
- L'analyse extemporanée des limites de l'exérèse est souhaitable.
- En cas de marges positives découvertes après l'intervention, il faut discuter d'une reprise chirurgicale.
- Les reconstructions sont effectuées grâce à des lambeaux locaux [fascio-cutanés, musculo-cutanés ou musculo-muqueux (nasogéniens, face interne de joue)], des lambeaux locorégionaux [(fascio-cutanés ou musculo-cutanés pédiculés (infra-hyoïdiens, grand pectoral, grand dorsal, temporal)], et les lambeaux à distance micro-anastomosés (crête iliaque, péroné, lambeau anté-brachial...)
- Pour le maxillaire, il peut être réalisé des reconstitutions immédiates par prothèses maxillo-faciales, combinées ou non avec des reconstructions chirurgicales.
- La chirurgie ganglionnaire peut être soit uni-, soit bilatérale. Il peut s'agir d'évidement de type radical ou conservateur (partiel ou complet). La totalité des groupes ganglionnaires peut être réséquée (de I à VI) ou seulement certains groupes pour les tumeurs sans adénopathie (sous-mentonnier, sous-maxillaire et inter-omo-digastrique).
- L'analyse extemporanée des premiers relais est souhaitable chez les patients N0 en cas d'évidement partiel. S'il existe une atteinte ganglionnaire, le curage partiel est transformé en curage complet conservateur.
- Si l'évidement cervical (de principe ou de nécessité) est effectué après curiethérapie, il doit préserver au maximum le capital vasculaire pour réduire le risque de nécrose.
- La radiothérapie externe peut être associée aux autres modalités thérapeutiques :
- avant curiethérapie
- après chirurgie
- concomitamment à une chimiothérapie :
- en traitement des tumeurs localement avancées inopérables (l'anticorps monoclonal cétuximab peut également être proposé dans cette situation en cas de contre-indication à la chimiothérapie)
- après chirurgie dans certaines situations (voir chapitre chimiothérapie).
- La radiothérapie externe peut également être délivrée de façon exclusive :
- pour des tumeurs T1 T2 N0 en cas de contre-indication à une curiethérapie ou à une chirurgie
- pour des tumeurs de stade III-IV en cas de contre-indication à une chirurgie, à une chimiothérapie et à l'anticorps monoclonal cétuximab
- en traitement palliatif à visée symptomatique (SPLIT-COURSE, hypofractionnement).
- La Radiothérapie Conformationnelle avec Modulation d’Intensité (RCMI) est recommandée car elle permet une couverture optimale des volumes cibles et une réduction de la dose délivrée aux tissus sains. Le bénéfice clinique de la RCMI est démontré pour les patients traités pour un cancer ORL en termes de réduction de la toxicité. Elle utilise des rayonnements X de 4 à 6 MV.
- La radiothérapie externe pourra être réalisée en mode séquentiel selon un fractionnement et un étalement standard. Néanmoins, pour les tumeurs localement avancées, si la chimiothérapie et le cétuximab sont contre-indiqués, discuter une radiothérapie externe hyperfractionnée et/ou modérément accélérée.
- En technique RCMI, si un complément de dose est prescrit après l’irradiation prophylactique (45-50 Gy), la technique du boost intégré (SIB, Simultaneous Integrated Boost) peut être proposée.
- Le délai entre la chirurgie et la radiothérapie doit être ≤ 6 semaines sauf complications incompatibles avec l’initiation de la radiothérapie. Compte tenu du temps de mise en œuvre des traitements de radiothérapie adjuvante, la coordination des équipes doit être optimisée pour favoriser le respect de ces délais.
- Un orostome, une désunion peu importante, ne doivent pas faire retarder le début de la radiothérapie en dehors d'exceptions argumentées.
- La RCMI en mode séquentiel selon un fractionnement et un étalement standard délivre les doses suivantes :
-
tumeur en place
- RTE exclusive :
- T et N palpable : 70 Gy / 35 fr / 7 semaines
- N0 : 45 à 50 Gy / 25 fr / 5 semaines
- RTE avant curie :
- T : 50 Gy / 20 fr / 4 semaines
- N0 : 45 à 50 Gy / 25 fr / 5 semaines
- RTE exclusive :
- postopératoire
- lit opératoire et N0/N-/N+ R- :
- 45 à 50 Gy / 25 fr / 5 semaines
- compléments de dose nécessaires en cas de :
- N+ R+ : 16 Gy / 8 fr / 1,5 semaines
Résidu macroscopique ou zone à haut risque : 20 Gy / 10 fr / 2 semaines - lit opératoire à risque (contre-indication à la curiethérapie) : 16 Gy / 8 fr / 1,5 semaines.
- N+ R+ : 16 Gy / 8 fr / 1,5 semaines
- lit opératoire et N0/N-/N+ R- :
-
tumeur en place
- Si la RCMI est délivrée en mode SIB, il est recommandé d’utiliser des schémas de prescription de dose proposés dans la littérature.
- L'étalement joue un rôle essentiel et doit être respecté. L'apparition d'une mucite ou d’une dysphagie ne doit pas interrompre le traitement sauf exception argumentée et impose une prise en charge nutritionnelle et symptomatique. Il en est de même pour les dermites, qui justifient une prise en charge cutanée étroite.
-
Facteurs pronostiques défavorables :
- un intervalle >6 semaines entre la chirurgie et la radiothérapie
- l'interruption et l'allongement de la radiothérapie
- un intervalle >3 semaines entre la radiothérapie et la curiethérapie.
- La curiethérapie interstitielle est réalisée au cours d'une courte hospitalisation.
- La technique comporte classiquement la mise en place de tubes plastiques sous anesthésie générale, avec chargement différé. La technique à débit pulsé (PDR) avec dosimétrie 3D peut être proposée pour optimiser la distribution de dose.
- Le port d’une protection plombée de la mandibule est indispensable durant le traitement (prévention du risque d'ostéoradionécrose).
- Les contre-indications sont : une atteinte de la gencive, une lésion du plancher buccal située à moins de 5 mm de la table interne de la mandibule, une atteinte du sillon gingivo-jugal, de la commissure inter-maxillaire ou du palais dur.
- Les doses de curiethérapie sur l'isodose de référence dépendent de la situation :
- curie seule : 65 à 70 Gy
- curie après radiothérapie externe (50 Gy) : 15 à 25 Gy dans les 2 semaines après la fin de la radiothérapie (≤ 3 semaines)
- curie postopératoire : selon les critères anatomo-pathologiques (marge positive ou à risque) :
- seule : 50 à 65 Gy (dans les 6 semaines postopératoires)
- après radiothérapie externe (50 Gy) sans chimiothérapie dans les 2 semaines : 10 à 25 Gy
- Les délais ont un rôle important dans le contrôle local lorsque la curiethérapie est réalisée après radiothérapie externe (≤ 20 jours) ou après chirurgie (6 semaines). Ils doivent être respectés sauf complications incompatibles avec la réalisation de la curiethérapie.
- Les indications de la chimiothérapie sont :
- concomitante à la radiothérapie :
- dans les tumeurs localement avancées pour lesquelles la chirurgie n'est pas retenue. Elle utilisera de préférence un protocole à base de sels de platine
- en postopératoire (RCP) :
- en cas de N+ R+ ; la décision doit être prise en tenant compte de l'état général du patient, du risque de complications et des contre-indications aux sels de platine
- en cas de marges + multiples
- à base de cisplatine.
- néo-adjuvante : à discuter si atteinte ganglionnaire N3
- palliative (maladie métastatique, récidive ou seconde localisation en territoire irradié inaccessible à un traitement locorégional).
- concomitante à la radiothérapie :
- Le cétuximab, anticorps monoclonal antirécepteur du facteur de croissance épidermique (EGFR), peut être associé à la radiothérapie dans les tumeurs localement avancées pour lesquelles la chirurgie n'est pas retenue et en cas de contre-indication à la chimiothérapie.
- Avant tout traitement, une remise en état dentaire est indispensable avec détartrage, soins et extractions de toutes les dents délabrées et mobiles (Cf. également référentiel sur les soins dentaires).
- Les soins dentaires doivent être entrepris le plus rapidement possible pour ne pas retarder l’initiation des thérapeutiques.
- En cas de radiothérapie externe, on ne conserve dans les champs que les dents parfaitement saines. Le patient devra s'astreindre à une fluoroprophylaxie quotidienne et non limitée dans le temps.
- En cas de curiethérapie, la zone irradiée devra être saine, sans problème dentaire.
- La surveillance n'a pas de spécificité par rapport aux autres carcinomes épidermoïdes de la sphère ORL.
- La surveillance est idéalement alternée conjointement par les chirurgiens ORL, oncologues médicaux et radiothérapeutes qui ont participé au bilan et au traitement de la maladie. Elle fait intervenir de nombreux soignants dans la rééducation et la prise en charge globale de ces patients.
- La surveillance ne se contente pas de rechercher une récidive, mais évalue le contrôle de la maladie, les séquelles douloureuses et fonctionnelles du traitement et leur prise en charge, les conséquences psychologiques et leur répercussion sur la qualité de vie, la survenue de métastases et de deuxièmes localisations.
- Les objectifs de la surveillance consistent :
- en la prise en charge des effets secondaires et des séquelles
- en un soutien psychologique
- à une aide au sevrage alcoolo-tabagique
- à la vérification de l’hygiène dentaire et de la compliance à la fluoroprophylaxie
- au dépistage des deuxièmes localisations ORL et au dépistage des récidives locorégionales
- à la recherche d’une autre localisation tumorale partageant les facteurs de risque alcoolo-tabagiques (essentiellement œsophage et poumon)
- à assurer un suivi nutritionnel (perte de poids, dénutrition, gastrostomie, SNG) en coordination avec une diététicienne
- à une prise en charge de la douleur en coordination avec UTD.
- "Calendrier" de surveillance :
Examens | Rythme de surveillance |
---|---|
Examen clinique | Tous les 3 mois pendant 2 ans puis tous les 6 mois pendant 3 ans puis 1 fois par an jusqu'à 10 ans |
Surveillance dentaire | Régulière : consultation bi-annuelle chez un dentiste pour un patient denté |
Scanner cervico-thoracique | A 3 mois de la fin des traitements (scanner de référence pour le suivi ultérieur mais également évaluation de la réponse aux traitements en cas de tumeur inopérable) |
Dosage de TSH | 1 fois par an si la thyroïde est dans les champs d’irradiation |
TEP scanner | A discuter si doute clinique ou scanographique en cas de récidive tumorale suspectée |
Surveillance ganglionnaire cervicale avec échographie | Cas particulier : T1 T2 N0 traités par chirurgie tumorale ou curiethérapie exclusives sans évidement, si l'examen clinique n'est pas aisé (gros cou, cou court), tous les 3 mois pendant 2 ans |